Dossia Avdelidi

La psychose non déclenchable- Ντόσια Αβδελίδη, Ψυχαναλύτρια - Ψυχολόγος

J-A Miller évoque la psychose non déclenchable lors de son cours De la nature des semblants. En se referant aux theories de la psychose dont nous nous satisfaisons comme il reproche, il pose la rature forclusive (NP ou P0) sous la barre. Au-dessus de la barre, il met les compensations pour rendre compte de la psychose non déclenchée. Il les appelle des Noms-du-Père de compensation :

C(NP)

NP

P0

Mais il remarque que cette façon d’écrire la métaphore délirante relève de la problématique œdipienne et du registre du manque. « Ҫa rencontre peut-être certaines limites quand on se trouve en présence non seulement d’une psychose non-déclenchée, mais d’une psychose non déclenchable[1] », avance-t-il. Mais il ne nous explique jamais quelles sont les limites rencontrées, ni ne nous donne d’éléments supplémentaires sur cette psychose non déclenchable.

Quelques années plus tard lors de la convention d’Antibes, il construit une opposition entre les psychoses de type chêne et les psychoses de type roseau. Les psychoses de type chêne sont les psychoses où il y a un franc déclenchement tandis que les psychoses de type roseau sont celles où il n’y a pas de franc déclenchement. Je le cite : « Lorsque la structure tient plutôt sous l’aspect roseau, que le sujet a élaboré un symptôme en glissade, à la dérive, le cas ne prête pas à un franc déclenchement[2]. » Les psychoses ordinaires, nous précise-t-il, appartiennent principalement dans cette deuxième catégorie.

C’est d’ailleurs par rapport à un cas de psychose ordinaire présenté par J-P Deffieux[3] l’année d’avant qu’il a utilisé pour la première fois le terme de débranchement pour qualifier ce qu’il a appelé le pseudo-déclenchement de cet homme.

Dans son « Effet retour sur la psychose ordinaire », il précise que, peut-être, une manière de saisir la psychose ordinaire est d’avancer qu’il s’agit d’une psychose voilée jusqu'à son déclenchement. Dans cette perspective, la psychose ordinaire serait une psychose avant le déclenchement. Mais cette manière de saisir la psychose ordinaire n’est pas la seule. Millernous explique qu’il y a des psychoses qui ne se déclenchent pas, des psychoses dormantes qui ne se réveilleront jamais. «Vous avez une différence entre les psychoses qui peuvent être déclenchées et celles qui ne le peuvent pas[4]», dit-il. Ainsi il nous invite à comprendre «que certaines psychoses ne mènent pas vers un déclenchement : des psychoses avec un désordre au joint le plus intime, qui évoluent sans bruit, sans explosion, mais avec un trou, une déviation ou une déconnection qui se perpétue[5] ».

La question qui se pose aussitôt est comment est-ce qu’on saura détecter une psychose qui ne se déclenchera pas, d’une psychose qui se trouve dans la période avant le déclenchement. Miller ne répond pas à cette question, mais il donne la différence entre psychose et psychose ordinaire. Au binaire névrose-psychose, la psychose ordinaire s’introduit comme « le tiers exclu » du côté de la psychose. Il affirme alors qu’on peut dire que c’est une troisième structure. Mais, en réalité, il ne s’agit que de la même structure, précise-t-il. La différence entre psychose et psychose ordinaire, est que dans la psychose le Nom-du-Père est absent et ce qu’on y observe est le P0 tandis que dans la psychose ordinaire il y a un faire-croire compensatoire du Nom-du-Père.

Pourtant cette distinction ne résout pas la question de la psychose non déclenchable puisque le faire-croire compensatoire du Nom-du-Père peut, à un certain moment, chuter, comme il nous informe. Ce n’est que l’expérience clinique et le un par un qui nous amènera à affirmer que pour un sujet particulier, il n’y aura pas déclenchement, au sens classique, de sa psychose.

Cependant, il me semble que trois éléments peuvent nous aider pour cette affirmation. Le premier est celui qu’A. Stevens rapporte par rapport à la suppléance dans un article des années 90. Dans cet article, pour différentier les psychoses avec déclenchement des psychoses sans déclenchement, il utilise l’article de Freud « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose ».

Si selon Freud, dans la psychose le moi se coupe de la réalité dès le premier temps pour créer le délire comme nouvelle réalité en deuxième temps, ne pouvons-nous pas affirmer que la suppléance qui ferait qu’une psychose ne se déclenche pas, s’installe dès le premier temps ?

Stevens soutien que « si le délire équivaut à la réparation qui porte sur le deuxième temps, après les effets catastrophiques produits par le déclenchement, il faut au contraire situer la suppléance comme réparation portant sur le premier temps[6] ». Si la suppléance est une réparation qui porte sur le premier temps, on peut comprendre un peu mieux pourquoi dans certaines psychoses il n’y a pas de phénomènes du retour du réel et de déclenchement proprement dit. Mais ceci ne nous garantit pas que cette suppléance tiendra. C’est le deuxième élément ainsi que le troisième qui nous aideront sur ce point.

Le deuxième élément est celui qu’A. Lysy a mis en évidence dans son article « Ce qu’on appelle des psychoses “non déclenchées”». Son hypothèse est que la suppléance répare l’erreur du nœud borroméen de telle sorte que le déclenchement n’ait pas lieu: « Il s’agit bien de quelque chose qui vient, non pas après-coup réparer un défaut rendu apparent par le déclenchement, mais d’une fonction qui a pour effet de pallier le défaut de telle sorte que le déclenchement n’ait pas lieu[7] ». Dans ce sens la psychose de Joyce est, d’après A. Lysy, non seulement non déclenchée mais aussi non déclenchable.

Elle souligne le même problème clinique. Comment distinguer une suppléance qui empêche le déclenchement, d’une suppléance qui remédie au trou mais n’arrive pas à empêcher le déclenchement ? La réponse qu’elle esquisse tient en compte la définition du symptôme dans le dernier enseignement de Lacan. Les suppléances qui empêchent le déclenchement impliquent un symptôme sur son versant de la lettre c’est-à-dire un symptôme « qui condense la jouissance en un S1 hors chaîne, qui a donc un versant réel, a-dialectique[8] ».

Cette affirmation rejoint le troisième élément, celui de J-C Maleval[9] qui soutient que les identifications imaginaires les plus stables possèdent deux caractéristiques supplémentaires, à savoir elles sont porteuses d’idéal et elles sont connectées avec le réel. Maleval nous explique que pour qu’une identification imaginaire puisse tenir, il faut quelques conditions. Quand l’identification est porteuse d’idéal, elle parvient à limiter la jouissance. De même, une identification imaginaire est plus stable quand elle est connectée avec le réel.

Ces trois éléments ainsi que l’absence des phénomènes du retour du réel peuvent constituer une première boussole pour distinguer une psychose susceptible de se déclencher d’une psychose qui ne se déclenchera pas. Notre tache initiale alors est de repérer la différence entre les psychoses qui peuvent être déclenchées et celles qui ne le peuvent pas. S’agit-il d’une différence de structure ? Ensuite, il est important de savoir si on va identifier la psychose non déclenchable avec la psychose ordinaire et si on ira jusqu'à affirmer que la psychose ordinaire est une psychose non déclenchable. Reste à nous d’inventer les réponses.

 


[1] Miller Jacques-Alain, De la nature des semblants (1991-1992), cours du 18 décembre 1991, inédit

[2] Miller Jacques-Alain, « Psychoses chêne et roseau », La psychose ordinaire,collectif, Paris, Agalma-Seuil, 1999, p.276

[3]Deffieux Jean-Pierre, « Un cas pas si rare », La conversation d’Arcachon, collectif, Paris, Agalma-Seuil, 1997, p.11-19

[4] Miller Jacques-Alain, « Effet retour sur la psychose ordinaire » (2008), Quarto, Revue de psychanalyse, no 94/95, 2009, p.48

[5]Ibid., p.49

[6] Stevens Alexandre, «Délire et suppléance», Quarto, Revue de psychanalyse, no 42, 1990, version cd-rom, Eurl-Huysmans, Paris : Editions de l’ECF, 2007, p. 18

[7]Lysy-Stevens Anne, «Ce qu’on appelle des psychoses “non déclenchées”», Les feuillets du courtil, Publication du Champ freudien en Belgique, no 12, 1996, p.108

[8]Ibid.

[9]Maleval Jean-Claude, « Éléments pour une appréhension clinique de la psychose ordinaire », séminaire de la découverte freudienne, 18-19 janvier 2003, inédit, disponible sur internet